J.D. Durand: Le Monde de l’histoire religieuse

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Titel
Le Monde de l’histoire religieuse. Essais d’historiographie


Herausgeber
Durand, Jean-Dominique
Reihe
Chrétiens et sociétés: Documents et Mémoires 16
Erschienen
Lyon 2012: Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA)
Anzahl Seiten
250 S.
Preis
URL
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Vincent Petit, Strasbourg

Comme l’indique le sous-titre du recueil dirigé par Jean-Dominique Durand qui signe par ailleurs la contribution consacrée à la France, le présent ouvrage rassemble des essais historiographiques portant sur dix pays d’Europe occidentale (avec l’Irlande), auxquels s’ajoutent un texte sur les Etats-Unis et un autre sur l’Afrique occidentale (Burkina Faso). S’ils ont été placés en début de recueil, c’est comme pour souligner leur singularité puisqu’ils sont les seuls à véritablement se situer dans un contexte de pluralisme confessionnel et/ou religieux (avec l’Islam et l’animisme pour le cas burkinabé). En effet, les contributions portant sur les pays européens, celles sur lesquelles nous insisterons en raison de leurs profondes convergences, sont souvent étroitement nationales et privilégient le seul christianisme, parfois même le catholicisme. Le judaïsme n’est évoqué que sous l’angle exclusif de l’antisémitisme. Preuve s’il en est que l’histoire religieuse, pour prendre l’expression française, est le reflet d’une histoire et d’une identité nationales – même si son dynamisme n’est pas forcément proportionnel à son poids historique et sociologique (voir l’Espagne, 124, ou dans le cas contraire, la France pourtant très sourcilleuse quant à la laïcité). La faute aussi sans doute à une conception pour le moins statique et institutionnelle de la religion: quid des convertis, des «recommençants », des croyants «à la carte»? Si chaque essai s’organise autour d’une problématique plus ou moins profonde, et offre un panorama inégal – sensible avec les notes infra-paginales, pleines de références précieuses pour le locuteur francophone – et actualisé (A ce titre, la contribution de J.-D. Durand est sans doute trop datée. On pourra, pour la compléter, se reporter à Jacques-Olivier Boudon, L’histoire religieuse en France depuis le milieu des années 1970, dans le numéro Nouvelles approches en histoire dans la France contemporaine, de la revue Histoire, économie et société, 2012/3, 71- 86, et Nouveaux chantiers du catholicisme français contemporain, sous la direction de Bruno Dumons et Christian Sorrel, Presses Universitaires de Rennes, à paraître en 2013), il manque à tout le moins une mise en perspective globale qui aurait permis de tirer profit de ces points de vue nationaux.

Au delà des différences, de la place qu’y occupait le catholicisme ou le(s) protestantisme( s), des rapports qu’il entretenait avec l’Etat, les pays européens disposent de deux traditions historiographiques parallèles, sans forcément être antagonistes puisqu’elles partagent les mêmes méthodes: celle d’une histoire ecclésiastique, faite pour et par les Eglises, dans les facultés de théologie, dans les séminaires, dans les universités catholiques, une Kirchengeschichte qui se résume pas à l’apologétique, mais qui se décline en autant de versions qu’il y a d’Eglises selon un système de «pilarisation» (105); celle d’une histoire scientifique dénuée de tout prosélytisme, faite par des universitaires salariés par l’Etat.

D’abord, les choses sont-elles si simples? Ne peut-on pas considérer que l’histoire de la religion (i.e. du christianisme) est tout bonnement passée des clercs aux laïcs tout en demeurant affaire de professionnels («l’Eglise n’a pas besoin de mensonges» dit un professeur de l’université de Louvain, 144) et de croyants? Après tout, la frontière entre les deux n’est pas toujours évidente: l’écriture historique d’un Roger Aubert, d’un Jean-Robert Armogathe, d’un Victor Conzemius ne se distingue pas de celle d’un Jean-Marie Mayeur ou d’un Daniele Menozzi; l’histoire de l’Eglise est largement aujourd’hui faite par des laïcs, par ailleurs insérés dans les réseaux scientifiques.

Si la première tend à disparaître, la seconde témoigne d’une belle vitalité qui doit néanmoins être nuancée. A ce titre, il aurait été utile de présenter quelques éléments de quantification, à comparer aux autres segments de la discipline: nombre d’ouvrages publiés et... vendus!, nombre de chaires ou d’organismes de recherche, nombre de mémoires universitaires soutenus, nombre d’adhérents des associations spécialisées, nombre d’abonnés aux revues... Si l’aspect religieux est aujourd’hui généralement admis dans l’écriture historique générale – particulièrement dans l’histoire contemporaine puisque pour les périodes précédentes cela ne fait pas débat –, et n’est plus l’objet d’opprobre ou d’indifférence comme il a pu l’être dans le passé (J.-D. Durand note que la Méditerranée de Braudel est un monde «sans églises, sans synagogues, ni mosquées» 159), cette «normalisation» exprime aussi une certain relativisme. Le «fait religieux», sous l’influence de la sociologie, est devenu un fait social comme les autres, un fait social apprivoisé et même peut-être une langue morte. Cette mutation se lit aussi avec les centres d’intérêt de l’historiographie européenne. Jusqu’aux années 80 se lisaient l’influence du matérialisme historique et de l’école des Annales: une attention serrée à l’égard de la «religion populaire», souvent analysée comme hostile à celle promue par l’Eglise officielle; l’exigence comptable (162) qui réduit la religion à des actes individuels qu’il convient de mesurer; les rapports conflictuels, saurait-il en être autrement?, entre Eglise(s) et Etat. Aujourd’hui, l’histoire religieuse ou la social history of religion s’inscrit davantage au sein d’une histoire culturelle et sociale, en privilégiant de nouveaux objets d’étude, moins institutionnels: le genre, les identités, les cultures (missions, dévotion, art). Ce serait même la seule issue pour sa survie (209). Sans pour autant défendre une conception théologique ou téléologique de l’histoire de la religion ou des religions, peut-elle se faire comme on ferait celle d’un hobby? Le succès ou l’insuccès de cette histoire, et en fin de compte son avenir, interrogent à travers le cas de la contribution la plus pessimiste et partant de là, la plus stimulante. Le Néerlandais, Joris van Eijnatten, historien généraliste comme il le dit lui-même (198), pose la question du futur même de cette histoire (208) qui est liée, quoi qu’on en dise, à une demande sociale et in fine, à la culture religieuse de ceux qui la lisent ou de ceux qui l’étudient: la baisse du recrutement des facultés de théologie, la diminution du nombre des étudiants intéressés, le vieillissement du lectorat, le développement d’autres traditions religieuses et spirituelles ou une sécularisation toujours plus profonde... la condamnent en conséquence.

Deux issues contradictoires s’alimentant l’une l’autre paraissent dès lors possibles. L’intégration toujours plus grande dans une histoire sociale et culturelle, qui plus est accrue par une lecture post-confessionnelle (les Américains parlent de post-denominationalist Christianity) liée à une offre religieuse plurielle et fragmentée, risque de développer une approche indifférenciée où tout est «religieux»: humanisme(s), ésotérisme, franc-maçonnerie, athéisme, librepensée (la «laïcité organisée» est reconnue en Belgique au même titre qu’une religion), et même cultures politiques. En réaction, peut s’opérer une reconfessionnalisation de l’histoire religieuse, limitée à des isolats, non seulement au service de l’identité d’une Eglise ou d’une autre contre ses rivales, mais aussi justificative de son objet dans un champ qui lui est de plus en plus étranger.

Zitierweise:
Vincent Petit: Rezension zu: Jean-Dominique Jean-Dominique (Hg.), Le Monde de l’histoire religieuse. Essais d’historiographie, LAHRAH, Lyon 2012. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 107, 2013, S. 493-495.

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